Évolutions récentes du droit pénal et de la propriété intellectuelle : entre protection des données et lutte contre la contrefaçon
Rédigé par Équipe juridique Mis à jour le 19 décembre 2024
Panorama des mutations législatives et jurisprudentielles en matière de propriété intellectuelle et protection des données
Application temporelle de la loi pénale en matière de contrefaçon
Le principe d'application immédiate des lois pénales plus douces
La Cour de cassation a récemment précisé les contours de l'application temporelle de la loi pénale en matière de contrefaçon¹. Dans une affaire concernant la revente de rétroviseurs contrefaits par la filiale d'un groupe espagnol, les juges ont appliqué rétroactivement les dispositions de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique. Cette loi a modifié l'article L. 513-6 du Code de la propriété intellectuelle en créant un régime exonératoire pour les équipementiers d'origine.
L'interprétation extensive du régime exonératoire
La cour d'appel a retenu une interprétation favorable aux prévenus en considérant que l'exonération de responsabilité pénale s'étend non seulement à l'équipementier d'origine, mais également à toute la chaîne commerciale jusqu'au consommateur final. Cette approche vise à éviter qu'une lecture restrictive ne rende la loi inutile si l'équipementier ne pouvait céder les pièces qu'il produit licitement.
Les objectifs environnementaux de la réforme
Les travaux parlementaires établissent clairement que ces dispositions visent à favoriser l'entretien et la réparation des véhicules automobiles par l'ouverture à la concurrence du marché des pièces détachées visibles. L'objectif est d'éviter la mise au rebut prématurée de véhicules en raison du coût excessif des pièces par rapport à leur amortissement.
La conformité aux droits fondamentaux
La Cour de cassation a validé cette application immédiate en considérant qu'elle portait aux droits de propriété intellectuelle une atteinte proportionnée au but légitime poursuivi. L'interprétation retenue respecte par ailleurs le principe d'interprétation stricte de la loi pénale tout en conférant aux dispositions leur exacte portée.
Compétence juridictionnelle en matière de contrefaçon transfrontalière
Les règles de compétence territoriale
La question de la compétence des juridictions françaises pour connaître d'infractions de contrefaçon ayant des ramifications internationales a fait l'objet d'une importante décision de la Cour de cassation². Dans une affaire de contrefaçon par diffusion d'œuvres audiovisuelles, les juges ont précisé que la localisation des faits de contrefaçon en France ne limite pas la compétence des juridictions civiles pour réparer l'intégralité du préjudice, même partiellement consommé à l'étranger.
L'influence du droit de l'Union européenne
La jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne inspire directement cette approche. Les juridictions françaises peuvent ainsi connaître de l'intégralité du dommage causé dès lors qu'elles sont saisies au titre du lieu d'établissement de l'auteur de la contrefaçon. Cette solution offre une protection renforcée aux titulaires de droits face aux infractions numériques transfrontalières.
La charge de la preuve du défendeur
La Cour de cassation a également précisé que c'est à l'auteur des faits de contrefaçon qu'il incombe de démontrer que les parties civiles ont saisi d'autres juridictions européennes aux fins de réparation du dommage. Cette règle évite les risques de forum shopping tout en préservant l'efficacité de la réparation.
L'adaptation aux enjeux numériques
Cette évolution jurisprudentielle témoigne de l'adaptation nécessaire du droit de la propriété intellectuelle aux défis posés par la dématérialisation des contenus et la mondialisation des échanges. Elle garantit une protection effective des droits d'auteur dans l'environnement numérique.
Divergences dans les approches nationales de protection des données
L'illusion de l'harmonisation internationale
L'adoption par la Chine d'une loi sur la protection des données personnelles en août 2021 illustre parfaitement les limites de l'harmonisation apparente des législations³. Bien que ce texte reprenne formellement les mécanismes du RGPD européen, ses objectifs fondamentaux s'avèrent diamétralement opposés à ceux poursuivis par la réglementation européenne.
Les objectifs contradictoires de la compliance
Alors que le RGPD vise à protéger l'individu contre les atteintes à sa vie privée, notamment de la part de l'État, la loi chinoise utilise les mêmes outils techniques pour renforcer le contrôle étatique sur les données personnelles. Cette approche transforme la compliance en instrument d'obéissance plutôt qu'en mécanisme de protection des libertés individuelles.
Les exemptions révélatrices
Le texte chinois prend soin d'exempter explicitement l'État des contraintes qu'il impose aux entreprises privées. Cette exemption révèle la véritable finalité de la loi : contraindre les grandes entreprises technologiques chinoises qui commençaient à rivaliser avec le pouvoir politique, tout en entravant les investissements étrangers par le blocage de l'accès aux données.
L'absence de protection des lanceurs d'alerte
Contrairement au système européen qui place la protection des lanceurs d'alerte au cœur de son dispositif, la loi chinoise ne prévoit aucun mécanisme de circulation de l'information nécessaire à la protection des individus. Cette lacune confirme que l'État chinois entend conserver le monopole de la gestion discrétionnaire des informations personnelles, particulièrement concernant les groupes minoritaires.
Les enjeux géopolitiques de la régulation numérique
L'instrumentalisation des standards de protection
L'adoption formelle de standards européens par la Chine lui permet paradoxalement d'apparaître "plus protectrice" que certains pays démocratiques comme les États-Unis, et de justifier le refus de transferts de données vers ces pays au nom de la protection des individus. Cette stratégie illustre comment les instruments juridiques peuvent être détournés de leurs finalités originelles à des fins géopolitiques.
Les risques de la définition procédurale de la compliance
Une approche purement technique de la compliance, réduite à l'efficacité maximale des réglementations, présente des dangers considérables. Elle peut transformer les mécanismes de protection en instruments d'oppression dès lors que les règles substantielles ne sont pas orientées vers la protection des droits fondamentaux.
La nécessité d'une approche téléologique
Pour éviter ces dérives, il convient de définir la compliance par ses buts humanistes plutôt que par ses seules techniques. Dans cette perspective, l'information doit être révélée ou bloquée selon ce que requiert effectivement la protection de l'individu, et non selon les intérêts étatiques ou commerciaux.
L'urgence d'un droit global
L'absence d'un véritable droit global de la protection des données permet ces détournements et complique la coopération internationale. Il devient urgent de développer des mécanismes de reconnaissance mutuelle fondés sur des critères substantiels plutôt que formels.
Conclusion
Ces évolutions récentes du droit pénal et de la propriété intellectuelle révèlent les défis considérables posés par la mondialisation et la numérisation des échanges. Si l'adaptation des règles de compétence et d'application temporelle témoigne de la capacité du droit français à évoluer pour maintenir l'efficacité de la protection, l'exemple chinois rappelle que l'harmonisation formelle des législations peut masquer des divergences fondamentales d'objectifs. La vigilance s'impose pour préserver l'orientation humaniste du droit de la compliance et éviter que les instruments de protection ne se transforment en mécanismes de contrôle.
Notes :
¹ Cass. crim., 11 juin 2025, n° 23-83.474
² Cass. crim., 18 mars 2025, n° 24-81.603
³ Marie-Anne Frison-Roche, "La nouvelle loi de protection des données en Chine est un 'anti-RGPD'", Actu-Juridique, 2 septembre 2021